Le lait de chèvre
d'alpage

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Des débuts de fromager difficiles

Depuis plusieurs années, Olivier a un petit troupeau de chèvres. Au tout début, elles étaient trois : Bagdad, Mafalda, Esméralda (ma préférée) ainsi qu'un bouc au caractère irascible qui n'avai de sympathique que le nom : Monsieur Seguin.

Les chèvres d'alpage

Olivier avait décidé de fabriquer du fromage. C'était simple, il suffisait de suivre la recette! Le seul problème était qu'il n'avait qu'une recette, celle de la tomme de vache. Ses débuts de fromager furent terribles, il fallait manger toutes ses tommes ratées, les chèvres qui estimaient que 100 hectares d'herbes de toutes variétés ne suffisaient pas allaient brouter les fleurs du voisin.

Lorsqu'il entendait celui-ci hurler, il fallait parcourir le kilomètre qui les sépare (dans le silence de la montagne on entend de loin), ramener les terribles en laisse jusqu'au chalet et souvent refaire le même parcours un peu plus tard parce qu'elles étaient revenues sur le lieu de leur crime et s'apprêtaient à récidiver.

Finalement ; des amis lui ont donné la bonne recette et depuis ses tommes de chèvre sont réputées comme étant savoureuses. On les reconnaît dans les épiceries des villages alentours, aux fleurs de serpolet, aux épices ou au poivre qu'il glisse sous l'emballage.

Mais, si les chèvres se sont lassées de rendre visite au voisin, depuis elles ont eu d'adorables cabris qui sont devenus de belles chèvres et c'est ainsi qu'une famille s'agrandit.

Le lait de chèvre fantasme ou réalité ?

Il est très ordinaire, autour de chez moi, de voir les femmes du village, lorsqu'elles ne peuvent nourrir les enfants de leurs mamelles appeler les chèvres à leur secours, et j'ai à cette heure 2 laquais qui ne tétèrent jamais que 8 jours le lait de femme...
Michel Eyquem de Montaigne, Essais, XVIème siècle

Comme l’illustre cette citation, c'est probablement par l'héritage de l'usage traditionnel du lait de chèvre dans l'alimentation des tout petits (au moyen-âge, le biberon, constitué d'une corne de vache percé, se nommait "chevrette"), que perdure, aujourd'hui encore, l’image santé du lait de chèvre.

Le lait de chèvre

A l'analyse, même si cette image n'est pas dénuée de fondement, le lait de chèvre reste néanmoins très proche du lait de vache, en comparaison de celui de femme.

  • Le lait de chèvre est une source importante d'énergie de l'ordre de 690 kcals par kilogramme.
  • Les protéines du lait de chèvre et celles du lait de vache ont les mêmes qualités nutritionnelles.
  • Les lipides représentent la principale source d'énergie du lait de chèvre, comme ceux du lait de vache, ils sont pauvres en acides gras polyinsaturés, qui sont nécessaires au métabolisme humain. La digestibilité des lipides du lait de chèvre est élevée (90 à 95%).
  • Le lait de chèvre contient de nombreuses vitamines et substances minérales à des concentrations satisfaisantes pour couvrir certains besoins journaliers. Cependant, le lait de chèvre ne peut pas couvrir tous les besoins journaliers (il est carencé en vitamine B9) qu'il faut donc apporter par d'autres moyens. Il s'agit en particulier de certains acides gras polyinsaturés, dont l'acide linoléique, de certaines vitamines, dont la vitamine E, la vitamine C, l'acide folique et la vitamine B12, et de certains oligoéléments dont le fer.

Une bonne image santé, des qualités nutritionnelles et la remise en question, depuis peu, du lait de vache (le livre de Thierry Souccar, journaliste et auteur scientifique : Lait, mensonges et propagande), sont autant d'atouts, qui ont joué, ces dernières années en faveur de la popularité du lait de chèvre. Mais, même si le lait de chèvre, vis-à-vis des autres laits, a une meilleure digestibilité et un stockage plus faible de ses graisses dans notre organisme, il n'est pas, pour autant, le produit "miracle", que le marketing nous présente.

Il est vrai, qu'il peut être utilisé avec profit, associé avec d'autres aliments à partir de l'âge de 1 an, mais il ne peut, en aucun cas, remplacer le lait maternel chez le jeune enfant. Autrefois, bon nombre de bébés sont morts, par le fait de cette pratique. Pour ce qui est de l’intolérance au lait de vache, en opposition à l'intolérance au lait de chèvre, une simple comparaison de la teneur en lactose du lait de chèvre, à peine inférieure à celle du lait de vache, fait vite comprendre qu’un intolérant au lait de vache l’est aussi au lait de chèvre.

Pour information; la teneur en matière grasse des fromages de chèvre affinés, se situe dans la moyenne des fromages (entre 12 à 27g / 100g) et la teneur en cholestérol est modérée : 30g de fromage de chèvre contient 10 fois moins de cholestérol que dans un œuf et 2 fois moins que dans 20g de beurre.
Par l'auteur

Le lait cru de chèvre

Il n'est pas encore six heures quand Olivier fait glisser la lourde porte de l'écurie dont le soleil naissant repousse peu à peu la pénombre. Tous les matins, les gentilles "fifilles", comme il aime à les appeler, se lèvent fébrilement en tournant la tête vers leur berger, qu'elles accueillent de leurs béguètements (cris de la chèvre) impatients. A son passage, avant la traite, chacune d'elles tend le cou pour recevoir une caresse. Il est essentiel, pour Olivier, de ne pas déroger à ce rituel, sous peine de mettre les petites "chéries" (autre petit nom de ses chères chèvres) de bien mauvaise humeur.

Amours d'automne

Le bouc d'Arthur

A l'automne dernier, ces dames ont reçu la visite d'un hôte très attendu. Venu de l'alpage du pré Anselme, imprégné d'une odeur inoubliable et doté d'une impressionnante barbe blanche, toutes deux preuves de son incontestable virilité, le bouc d'Arthur a amplement profité, sur le pré de Mollens, d’un séjour que l'on peut qualifier de très "coquin". Les dames ne s'en sont pas plaintes, bien au contraire. Dès les dernières neiges de mars, durant l'hivernage au village de Mollens, chacune d'elles a donné naissance à un, deux, voire trois chevreaux, fruits de leurs amours automnales. Dès la mise bas s’amorce un nouveau cycle de lactation : durant les dix prochains mois, elles donneront de nouveau du lait à raison de 2 à 2,5 litres par jour et par chèvre en moyenne. Les premiers mois, ce sont les cabris qui profitent goulûment du lait de leurs mères, et ce n'est qu'une fois monté et installé à l'alpage qu'Olivier commence à traire pour "fromager".

Facile de traire une chèvre ?

Traire d'une chèvre à la main

Assis très inconfortablement sur un vieux seau retourné, Olivier trait, une à une, ses six chèvres attachées le long de la mangeoire, où, préalablement il a disposé quelques "friandises".
D'abord il lave le pis (ou mamelle) et les deux trayons à l'eau tiède additionnée d'un désinfectant, avant de les essuyer en les massant légèrement. Outre l’aspect hygiénique incontournable de ce geste, la chaleur de l’eau et le massage détendent la chèvre et favorisent la descente du lait (libération d'ocytocine).
Le massage terminé, Olivier enserre avec une main le premier trayon, puis, formant un anneau entre son pouce et l'index, il resserre (pince) la base de la tétine pour y piéger le lait, pendant que les trois autres doigts pressent, dans un mouvement souple, le trayon pour en faire sortir les premiers jets qu'il dirige en direction du sol. Il effectue la même opération sur le second trayon, afin d'en éliminer les germes nuisibles et les saletés internes qui pourraient contaminer le lait.

La traite des chèvres

Maintenant, c'est une main positionnée sur chaque trayon, qu'il dirige les jets en direction du seau à lait, placé au sol en retrait de la mamelle. Une main presse pendant que la seconde se détend, puis le processus s'inverse, cette alternance permet à un trayon de "s'essorer" pendant que le second se remplit de lait. Durant la traite, Olivier prend bien soin de ne jamais tirer sur la tétine, ce qui provoquerait pour la chèvre une forte douleur et altérerait immanquablement sa confiance envers son berger. En éleveur accompli, Olivier est conscient qu'un animal que l'on trait n'est jamais passif mais toujours acteur du travail en cours...

Envie d'essayer ?.. La chose semble bien facile au regard de la rapidité avec laquelle Olivier remplit son seau. Mais il est toujours préférable de se méfier des apparences, sans expérience et persévérance, la traite manuelle pourrait s'avérer pénible et surtout très douloureuse pour vos mains... Douleurs!... Le mot est lâché, plusieurs décennies de traite ont eu raison des articulations d'Olivier, ces dernières saisons, les tendinites, récurrentes, sont devenues de plus en plus fréquentes. Seul remède, la machine à traire alimentée par un générateur, qu'Arthur, obligé d'arrêter "les chèvres" pour des raisons de santé, lui cédera cette automne après la désalpe...

Après la traite

Chévres sur l'alpage

La traite matinale achevée, Olivier ramène le lait dans la cuisine pour le filtrer à l’aide du passe-lait. Sur le fourneau, dans deux grandes marmites, l'eau frémit à gros bouillons. Elle servira à faire la vaisselle des faisselles et à ébouillanter ses ustensiles, afin que ses fromages artisanaux respectent les normes d'hygiène. Avant de "fromager", il est encore temps de retourner les tommes qui s'égouttent depuis la veille... Plus tard dans la matinée, il ira contrôler les génisses...

Une fois détachées, les chèvres s'empressent de rejoindre le pâturage où les gourmandes savent qu'une petite mangeoire remplie de granulés les attend. Elles passeront le reste de la journée à arpenter l'alpage (voire même celui du voisin...) en toute liberté, et ce n'est qu'en fin d'après-midi qu'elles reviendront toutes seules au chalet. Devant l'écurie où elles passeront la nuit, leurs bruyants béguètements mêlés au concert des clochettes, annonceront à Olivier qu'il est l'heure de la traite du soir.

Faut-il avoir peur des fromages de chèvre au lait cru?

D’un point de vue épidémiologique, on n’a pas plus de problème aujourd’hui avec les fromages au lait cru qu’avec les autres fromages et, surtout, on a plutôt moins de problèmes avec les fromages qu’avec d’autres produits prêts à consommer comme les fruits de mer dans les salades ou le saumon fumé vendus sous plastique.
Dominique-Angèle Vuitton, professeur d’immunologie clinique à l’Université de Franche-Comté
Un fromage, c’est un produit vivant et à l’intérieur de ce fromage, il existe des communautés microbiennes qui sont composées d’espèces différentes. Dans un seul lait cru, on a dénombré 40 espèces différentes qui ont toutes une fonction spécifique. Il s’agit d’une communauté très organisée (...) Les fromages au lait cru ont les moyens de se défendre tout seul contre les listerias : Un fromage est un écosystème peuplé d’une communauté microbienne qui produit des molécules pour inhiber les pathogènes. Plus il y a d’individus différents dans la communauté, plus il y aura des molécules de défense différentes. Dans un lait cru, la listeria se retrouvera donc face à une véritable armée...
Marie-Christine Montel, directrice de l’Unité de Recherches fromagères de l’INRA

Fromage de chèvre