La flore
du pré de Mollens

Un pâturage en fleur

Déjà deux semaines qu'Olivier est installé au chalet du pré de Mollens. Depuis l'inalpe, le temps est incertain, trop souvent maussade : brumes et averses alternent avec de trop rares éclaircies. Mais à chaque fois qu’enfin les nuages s’écartent, et dès que paraissent les premiers rayons de soleil, la rosée illumine les pâturages de reflets "électriques" où les fleurs printanières mêlent l’éclatant foisonnement de leurs couleurs au camaïeu de vert des herbages. En cette saison, et dans ces moments privilégiés, le pré de Mollens apparaît comme un jardin extraordinaire, et on se plaît à imaginer que cette beauté magique pourrait être l’œuvre des Fées et des elfes de la montagne…

Crocus albiflorus

A la mi-avril, Olivier fait traditionnellement une première visite à l’alpage pour examiner l'état des clôtures. Lorsqu’il est monté, cette année, la neige, encore présente en bien des endroits, laissait apparaître quelques Soldanelles. Les Crocus accompagnés des Narcisses botaniques et des Primevères des bois, s'ouvraient timidement, annonçant la fin prochaine des frimas hivernaux d'altitude. Mais en ces premiers jours du mois de juin, la neige a fait place à une nature en pleine renaissance où seul subsiste encore un névé sur la ligne de crête du Mont Tendre.

Sur les affleurements calcaires qui entourent le chalet, la délicate Gentiane de printemps forme des colonies d'un bleu sans pareil. Cette délicieuse vivace en touffes gazonnantes, d'une couleur lumineuse si intense au milieu des pâtures, m'a toujours fasciné. Pour moi, sa simple évocation représente à elle seule toute la "magie" du pré de Mollens.
La gentiane de printemps Rampant à ses côtés, les sous-arbrisseaux de Serpolet apportent avec leurs floraisons, des touches de rose et de violet, cependant dominées par le pourpre des inflorescences en épi des premiers Orchis mâle. Déjà bien en feuille, au côté du Vératre blanc, les robustes Gentianes jaunes, commencent pour certaines à montrer leur boutons floraux. Derrière eux, un épi dense et sphérique rose, laisse deviner un Orchis globuleux et plus loin encore, comme des papillons bleus et violets, des fleurs d'Ancolie dansent au vent...

Orchis : Orchidée d'Europe et d'Asie tempérée, aux fleurs en épis, colorées, à labelle trilobé. (Les orchis ont des racines fibreuses accompagnées de deux tubercules : l'un, ridé, qui a donné naissance à la plante ; l'autre, plein, destiné à alimenter la pousse de l'année suivante (Le Larousse). 7 espèces d'orchidée ont été recensées sur les pâturages du pré de Mollens. Toutes sont protégées par la loi sur la protection de la nature.
Par l'auteur

La flore le long du chemin du pré des amoureux

Hélianthème commun

En montant le chemin qui mène au haut de l'alpage, Olivier observe l'avancement des bourgeons d'épicéas. Certains ont déjà donné naissance à de jeunes pousses vert absinthe, indiquant qu'il sera bientôt temps d'en faire la récolte pour confectionner la " sapinette". Au pied de ces conifères, dans les dépressions humides, des Myosotis étalent leur nappes aériennes d'étoiles bleu azur, entourés d'Aconits Casque de Jupiter aux grandes feuilles profondément incisées, d'un vert sombre, qui attendent que la saison avance pour monter en fleurs. Le long du chemin, les Erines des Alpes colonisent les fissures, recouvrant la roche de leurs petites fleurs violacées.

Arrivé sur la zone dégagée d'une prairie rocailleuse, Olivier reconnaît parmi tant d'autres, la Campanule en thyrse, la Centaurée des montagnes, le Chardon décapité, l'Hélianthème commun et le piquant Chardon Argenté. En rentrant sous le couvert forestier, la présence de Vaccinium aux fleurs campanulées blanche : Myrtille (Vaccinium myrtillus) et Airelle rouge (Vaccinium vitisidaea), lui rappellent l'existence, dans ce milieu karstique, d'un sol à dominance acide (roche couverte d’un humus brut). Il sait aussi, que les myrtilles sont indispensables pour la nourriture et le maintien du grand tétras sur l'alpage du pré de Mollens.

Nigritelle noire

Plus haut, à son grand soulagement, une très belle Gentiane acaule ouvre sa corolle, d'un profond bleu sombre, sur sa courte tige. Chaque année, Olivier vérifie que la petite colonie de Gentiane est bien au rendez-vous, en se remémorant avec une certaine tristesse le groupe de Lis martagon, disparu une année pour ne jamais plus réapparaître les saisons suivantes.
A cette altitude, c'est aussi l'aire de répartition de la blanche Anémone sylvestre et du Troll à grosse fleur globuleuse jaune citron.
En cherchant attentivement, Olivier repère non loin d'un Sorbier en fleur, une timide Nigritelle noire à l'épi floral rouge sombre. Pour en découvrir toute la subtilité, il s'accroupit et hume avec délice le délicat parfum de vanille qui lui vaut le nom "commun" d'Orchis vanillé. Dans les chalets, on dit d'elle qu'elle est magique voire diabolique, mais qu’elle permet de confectionner, grâce à ses vertus aphrodisiaques, les meilleurs philtres d'amour... Alors quoi de plus normal que de la rencontrer le long du chemin qui mène au pré des amoureux...

Une végétation en étage

L’étude de la variation de la flore et de la végétation en fonction de l’altitude a conduit à la définition d’étages de végétation. Il est aujourd’hui couramment admis qu'il existe trois principaux étages de végétation dans le Jura.

Orchis mascula
  • Étage collinéen (en-dessous de 650 m) : Il est caractérisé par la présence des taillis de chênes pubescents (Quercus pubescens) et des chênaies à charmes (Carpinus betulus).
  • Étage montagnard (650 à 1300 m) On y distingue trois sous étages :
    1. Le montagnard inférieur (650-950 m) : caractérisé par les hêtraies thermophiles et les hêtraies-chênaies thermophiles.
    2. Le montagnard moyen (900-1150 m) : défini par l’extension de la hêtraie-sapinière. Le sapin blanc (Abies alba) y atteint son optimum.
    3. Le montagnard supérieur (1100-1300 m) : c’est encore le domaine de la hêtraie-sapinière, mais l’érable sycomore (Acer pseudo platanus) et le hêtre (Fagus sylvatica) ont ici leur optimum alors que la présence de l’épicéa (Picea abies) s’accentue.
  • Étage subalpin (au-dessus de 1300 m) On y distingue deux sous étages :
    1. Le subalpin inférieur (1300-1500 m) : c’est la partie typiquement forestière de l’étage où se mêlent très étroitement la hêtraie à érable, la pessière subalpine et les mégaphorbiaies (en zone tempérée, stade floristique de transition entre la zone humide et la forêt). Le sapin blanc est absent.
    2. Le subalpin supérieur (au-dessus de 1500 m) : il est caractérisé par la mosaïque constituée des pelouses subalpines à Sesleria albicans (graminée persistante à épillets violacés, parfois blanc verdâtre) et de la "forêt" préalpine où on peut parfois encore rencontrer (sur les crêtes rocheuses et dans les tourbières) le pin à crochet (Pinus uncinata).

L'ensemble de la commune de Mollens se répartit sur les trois étages de végétation Jurassien. Le point le plus bas se situe à 600 mètres (secteur des Monod) en limite de l'étage collinéen, tandis que le cœur du village s'étage entre 739 mètres à 760 mètres, dans l'étage montagnard inférieur. Sur la route de l'alpage, au refuge communal, le "Bon Accueil", on atteint l'étage du montagnard moyen à 1112 mètres. Arrivé à l'altitude de 1350 mètres, la limite inférieure de l'alpage de Mollens débute à l'étage montagnard supérieur, pour finir dans le subalpin supérieur à 1600 mètres, point culminant de la commune et de l'alpage.

Impact du climat sur la flore

La neige de printemps sur l'alpage

Le Jura est la première chaîne de montagne rencontrée par les courants océaniques dominants. En s'élevant, l'air se refroidit tout en se condensant, provoquant d'abondantes précipitations, surtout sur les crêtes du Parc Jura Vaudois (chaque mois plus de 100 millimètres, entre le Noirmont et le Mont Tendre). Pendant 4 à 5 mois de l'année, ces précipitations se présentent sous forme de neige, et le climat y est qualifié de rude à froid selon l'altitude, avec une période de végétation variant entre 95 et 150 jours.

Les combes fermées et les ouvalas se caractérisent par de nombreuses anomalies, provoquant un déficit thermique : L’air froid s’accumule par temps calme dans ces grandes dépressions, que ce soit en hiver ou pendant les nuits d’été. Ce micro climat froid joue un grand rôle pour les plantes et plus encore pour les arbres.

Le gel est aussi un facteur déterminant pour les végétaux. Ici, pas un mois ne se passe sans avoir de gelées, même au cœur de l'été, et les jours de gel peuvent être très nombreux, accompagnés de grandes amplitudes thermiques. Il semble que la végétation herbacée soit peu influencée par ces gelées tardives, qui peuvent en revanche limiter la croissance des arbres, notamment par la destruction des jeunes rameaux au printemps.

Les espèces Alpines et méditerranéo-montagnardes

L'Erine des Alpes

C'est très probablement par le massif de la grande chartreuse, que les espèces Alpines et méditerranéo-montagnardes ont peu à peu colonisé les chaînes calcaires, qui établissent une communication ininterrompue entre les Alpes dauphinoises et le Jura. Au nord, la région du Mont Tendre marque la limite septentrionale de cette extension. Samuel Aubert, en 1912 y note la très rare présence du Rhododendron Ferrugineux (la rose des Alpes, espèce éminemment Alpine) et l'abondance du Daphne cneorum (pourtant rare dans le Jura) à la prolifique floraison printanière rose vif à rouge. Cependant la région du Mont Tendre, présente un étage alpin bien moins fourni que celle plus méridionales du Crêt de la Neige et du Jura Genevois.

La colonisation des plantes Alpines, semble avoir commencé dès l'époque glacière, tandis que la conquête de la flore méditerranéo-montagnardes serait ultérieure et aurait bénéficié des zones plus ou moins dégagées des crêtes (elle s'est surtout établie dans les fissures et les escarpements rocheux).
Le couvert forestier "originel" dense a limité pendant longtemps la colonisation de la région par ces deux catégories de végétation. C’est bien plus tard, estime-t-on, que le défrichement par l’homme en a accéléré et amplifié l’extension.

Plantes Alpines

La chaîne du Mont Tendre héberge 27 espèces Alpines. Des crêtes jusque sous le couvert des forêts, avec les dernières neiges de printemps, la soldanelle peut s'y trouver en grand nombre. Sur les sommets, dans le fond des dolines, on y rencontre : Epilobium alpinum, l'épilobe à feuilles d'Alsine (Epilobium alsinifolium), la Sibbaldie couchée (Sibbaldia procumbens) et la Gnaphale de Hoppe (Gnaphalium hoppeanum).
La distribution des espèces Alpines du Jura n’est pas en lien direct avec l’altitude ; ainsi, ce n'est pas sur les plus hauts sommets que l'on observera la flore Alpine la plus riche. Les plus nombreuses sont les espèces des pelouses, situées sur les alpages en contrebas des crêtes : Pensée des Alpes (Viola calcarata), Lin des Alpes (Linum alpinum), Vergerette des Alpes (Erigeron alpinus), Saule réticulé (Salix reticulata), Potentille dorée (Potentilla aurea)...

Plantes méditerranéo-montagnardes

Les plantes méditerranéo-montagnardes des pentes du Mont Tendre, sont pour la plupart des espèces rupestres (plante qui croît sur les rochers) cantonnées dans les éboulis ou les escarpements. Certaines sont particulièrement adaptées à la haute montagne (plante orophile) : L'Erine des Alpes (Erinus alpinus), l'Athamante de Crète (Athamanta cretensis), la Kernéra des rochers (Kernera saxatilis) ou le sous-arbrisseau de Globulaire à feuilles en cœur (Globularia cordifolia).

Sanctuaire des Amburnex